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mardi 9 septembre 2008
MORVAN – Les forêts
Les forêts impénétrables de ce pays ont fait sa richesse. On s’y perd facilement. Mon école dotée d’une quinzaine d’enfants a erré durant 8 heures, a parcouru plus de 10 km avant d’arriver à un village qui n’était pas le nôtre ! Tout cela à cause de Victor qui connaissait les bois comme sa poche ! Pas d’incendies de forêt à cette époque, ou bien la mémoire me fait défaut, mais feux cependant lorsque mûrissaient les raisins. Dans les vignes, les hommes veillaient sur ces feux à tour de rôle, avec le fusil de chasse et des cartouches qu’ils fabriquaient eux-même. J’ai vu, descendant de la forêt, une mère sanglier avec toute sa petite famille disparaître derrière la ferme.
Feux encore, mais tamisés, domestiqués des huttes de charbonniers qui faisaient le charbon de bois.
Charbonniers, noirs de cheveux, noirs de peau, noirs d’yeux…Ils n’étaient pas d’ici…On les craignait. Ils vivaient dans des cabanes de branches et d’herbes sèches, pour une saison. Ils descendaient au village, chez " la Jeanne " qui vendait de tout, pour les provisions qu’ils entassaient pêle-mêle dans des sacs de grosse toile , sacs à pommes de terre : le sucre, le pain dans un torchon, le café, la viande de porc. Leurs souliers ferrés traînaient sur les pierres des chemins, pas de goudronnage en ce temps-là.
Adolescente, en vacances chez mes grands parents, ne craignant plus les orties de grand-mère Perrine, sachant où était le mal et le bien, j’étais allée voir de près les clairières de ces faiseurs de charbon.
Un après-midi où Louis, Roger et Bébert, mes anciens camarades d’école, coupaient les bûchers de la commune, j’avais pris le haut du Goujin, après la ferme. J’avais marché 2 heures pour entrer au profond de la forêt en suivant les chemins forestiers tracés par les roues des chariots. J’avais chaussé les bottes de caoutchouc et j’avais en main une baguette fourchue pour coincer une éventuelle vipère. Elles sont nombreuses dans cette région.
Perrine, ma si petite grand-mère avait été " mordue " en coupant des fougères pour la litière de ses lapins. Faut-il vous dire le remède ? Elle était rentrée à la ferme en courant avec sa brouette chargée – ce que l’on ne doit pas faire – avait fait rougir le pique-feu, s’était cautérisée elle-même puisqu’il n’y avait personne d’autre. Le docteur et les remèdes étaient à Clamecy ( 25 km ). Pas de sérum à cette époque, bien des paysans d’alors appliquaient sur la morsure le remède du vétérinaire ou quelque remède de bonne femme ou de rebouteux…
Perrine avait de l’eau de souci, de l’eau de lys, ce n’était pas de l’eau, mais du marc qui devait bien titrer 60° ! Les pétales, cueillis à une certaine heure et à une certaine lune, baignaient dans cette potion magique, ce qui les rendait plus bénéfiques. Je témoigne de leur valeur curative. Le monde actuel étant Bio, peut-être sont-ils encore connus et utilisés…. ( Vous pouvez me contacter )
Je saute d’une idée à une autre… Revenons à nos charbonniers !
Ils étaient auvergnats. Leurs huttes d’habitation étaient faites de branchages secs entrelacés recouverts de fougères sèches. Il y règnait une odeur de cuir, de sueur, de terre, de charbon suivant l’heure du jour. Ils se lavaient à l’eau de source, faisaient cuire leurs repas sur des feux brûlant entre des pierres, parlaient une autre langue. Ils gardaient, dans des cages de bois et de grillage serré, de jolies bêtes fines au doux pelage et aux dents aiguilles… des furets. Ces animaux onduleux pouvaient entrer dans les terriers, ils étaient dressés à rapporter la viande des dimanches.
Réponse d’une lectrice à l’article MORVAN LES FORÊTS par Jodem.
En lisant ce court récit, je retrouve des sensations éprouvées dans les forêts de mon Pays d’Othe où j’ai vécu une dizaine d’années juste après la guerre au cours de laquelle des événements graves s’étaient produits dans le pays.
J’ai vu aussi des charbonniers, immigrés d’Italie. Des hommes d’apparence sombre, fruste, venus d’un pays qui la veille encore était notre ennemi.
Je me souviens que l’un de ces hommes a perdu l’esprit pour avoir respiré les émanations toxiques des meules de charbon. Il fut remmené en Italie.
Quelque temps après, on apprit qu’il y avait été soigné et guéri.
Cet épisode m’a laissé une impression forte qui m’a marquée jusqu’à aujourd’hui car, dans ce village composé de hameaux dispersés, la nouvelle fut transmise peu à peu, en quelques paroles brèves, mais l’enfant que j’étais ressentit que les villageois, gens taciturnes et durs à la tâche, étaient tous profondément heureux d’apprendre la guérison de l’étranger.
Mystère du coeur humain...
Le charbon de bois prenait naissance d’une pyramide de branches droites, sèches, recouvertes de glaise. Le feu couvait au centre, nuit et jour. Un temps déterminé par les charbonniers faisait consumer les branches qui devenaient noires et friables. Une petite cheminée en forme de trou se trouvait en haut de la pyramide.
Que de choses apprises et données par les charbonniers : 2 superbes cornes de chevreuil, du miel d’abeilles sauvages qu’ils maraudaient comme des ours qu’ils étaient !
Il n’en est plus maintenant de charbonniers, ou bien dans d’autres pays, pays dits sous-développés
Les bûcherons…Les charbonniers…Louis et Cie m’ont appris les arbres. J’ai vu les arbres marqués en rouge sur leur tronc, pour la mort. J’ai assisté à la mise à mort. Je revois les outils : les cognées de diverses grandeurs avec leur manche poli comme des galets roulés par la mer.
Ces manches étaient passés de main calleuse en main calleuse, les coins que l’on fiche en bas des troncs à coup de cognée pour les enfoncer au creux des reins de l’arbre afin de diriger sa chute, son fracas, les scies à 2 mains pour les scieurs de long – un homme à chaque bout faisant jaillir du tronc scié, la sève, le sang, la chair de l’arbre – et toujours cette odeur âcre et douce à la fois de la sève libérée.
J’en ai passé des après midi entiers, un livre peu lu près de moi, hébétée de la chaleur moite des sous bois, chassant les insectes, suçant une tige verte de menthe sauvage pour apaiser ma soif ou buvant l’eau d’une source glacée, me trempant les pieds dedans, ce qui faisait crier aux bûcherons " Petiote tu vas te glacer les sangs.
A l’heure la plus chaude du jour, tous dormaient, tout dormait. L’acier des cognées et des scies scintillait à quelques rayons de soleil fusant entre les hautes branches. C’était un éclair lumineux qui changeait d’endroit selon la brise et la hauteur du soleil dans le ciel.
Je ronronnais, rêvassais, les bras repliés sous la tête, sur un oreiller de fougères ou sur une veste de toile empestant le vieux tabac. Parfois, j’entendais à travers le tissu, le tic tac de la montre à gousset de Louis, qu’il tenait d’un grand-père.
Je m’amusais à y entremêler le tic tac et les battements de mon cœur au repos. J’avais l’impression, à ces moments là, que le temps était suspendu, arrêté à l’heure présente, que la fin du jour ne viendrait pas, que tout resterait comme dans l’instant présent, le monde, moi, la forêt, Louis qui dormait la bouche entrouverte sur ses dents de loup….
Mais il fallait scier, fendre, faire les fagots pour allumer les cheminées.
Chaque famille recevait, par la Commune, son bûcher descendu de la forêt dans des chariots : grosses bûches, plus petites et fagots, l’importance du bûcher était proportionnée à l’importance de la famille.
Chacun l’entassait le long d’un mur, sous un toit, pour qu’il sèche. Il fallait encore savoir l’entasser, et prendre la bonne bûche, car pour une bûche mal posée, c’était la déroulade !
Des poules allaient quelques fois pondre " en perte " sous les fagots. Les chiens de grand-père avaient nuitamment mené une vie d’enfer, tant et si bien qu’on avait allumé la " lampe tempête " ( que je possède encore ) et avait ouvert la porte pour voir une fouine, gobeuse d’œufs, déguerpir de sous les fagots.
Plus tard, elle se fit prendre par je ne sais plus quel piège !…
Ode
Si vous avez écrit une Nouvelle qui n’a pas été éditée, ou si vous souhaîtez écrire un récit, contactez-nous sur "redaction@valeurs-francaises.fr" nous envisagerons de le faire paraître dans cette rubrique. ODE.
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Raymond de Cagny